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Qu’attendre de la retraite à points ?

L'avenir des retraites soulève la question de leur mode de gestion.

L'actuariel 26

Assurance Emploi Finances publiques

La réforme des retraites fait partie des grands chantiers présidentiels. Changement de système, uniformisation des régimes, nouveaux modes de vie professionnels, sur ce sujet, l’économie rivalise avec le social, non sans interpeller les actuaires…

« Quels que soient le statut, la profession, le secteur, un euro cotisé donnera les mêmes droits. » Derrière cette promesse de campagne du candidat Macron, se profile pour le nouvel exécutif un chantier titanesque : celui de la réforme des systèmes de retraite, fondés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sur la répartition pour aller vers un système dit « à comptes notionnels », qui serait le même pour tous : salariés du privé, fonctionnaires, indépendants… Basé sur le système à points – les périodes travaillées ouvrent des droits, qui sont convertis en pension selon un coefficient de conversion calculé annuellement –, ce système à comptes notionnels introduit deux paramètres supplémentaires dans le calcul des pensions : l’âge de départ à la retraite et l’espérance de vie de chaque génération au moment du départ. Déjà mis en place dans plusieurs pays, dont la Suède et l’Italie, le système à points présente des avantages et des inconvénients, des pour et des contre. Revue de détail.

Les points positifs : un système plus juste et plus lisible

Tous les experts consultés sur ce dossier s’accordent pour dire qu’un système à points permet une plus grande lisibilité des régimes et plus de justice sociale. « Nous avons actuellement 37 régimes dont le RSI et le régime des artisans et commerçants, et une centaine de régimes spéciaux », justifie Gilles Pestre, actuaire qualifié IA, directeur technique de l’Agirc-Arrco – qui, comme la plupart des régimes complémentaires, fonctionne selon un système à points. « D’un régime à l’autre, le système actuel n’est pas du tout cohérent. Si tous les régimes de retraite passaient en points, avec le même mode de calcul pour tous, on pourrait arriver à des rendements uniformes pour tous. » Alors qu’a contrario, aujourd’hui, à cotisation égale, les écarts de pension peuvent être importants selon qu’on est affilié à un régime d’indépendant ou de salarié ou encore à un régime de la fonction publique, où les primes peuvent faire varier les pensions sensiblement. Finis, les éternels débats sur les « avantages » réels ou supposés dont bénéficieraient les retraités de telle ou telle profession ! Un système à points, soulignent en outre Pierre-Alain Boscher, actuaire qualifié IA, Managing Director, et Cyril Manach, animateur du pôle de compétence Épargne/Retraite au sein d’Optimind Winter, supprime aussi la notion de « salaire de référence » actuellement pris en compte dans les régimes par répartition. Cette dernière introduit un élément de distorsion entre les catégories. En effet, la règle dite des « 25 meilleures années » avantage les personnes ayant connu de fortes progressions de salaire au cours de leur carrière, donc plutôt les diplômés, les cadres… Les ouvriers ou les employés qui ont gagné peu ou prou la même chose toute leur vie sont eux plutôt pénalisés. « De sorte que l’on a vraiment un lien entre ce que l’on reçoit à la retraite et ce que l’on a cotisé : actuariellement parlant, c’est vraiment la base de la plupart des régimes , notent les deux experts. Et fondamentalement, c’est beaucoup plus clair et plus pédagogique pour les cotisants. » Plus neutre sur le plan actuariel, le système universel à points « permet de fédérer et d’avoir une réelle compensation entre les régimes », précise Brigitte Écary, actuaire certifiée IA, présidente de Spac Actuaires et spécialiste de la protection sociale.

 

« C’est beaucoup plus clair et plus pédagogique pour les cotisants »
Pierre-Alain Boscher et Cyril Manach
Optimind Winter

 

Un système qui favorise la mobilité

Conséquence induite, qu’a d’ailleurs fait valoir Emmanuel Macron dans ses arguments en faveur de la réforme : les personnes seraient davantage incitées à changer de statut, à passer plus facilement de la fonction publique au privé par exemple, car elles n’auraient pas à redouter de voir leur retraite diminuée. Cet argument est d’ailleurs particulièrement mis en avant par les experts de l’OCDE dans leurs travaux sur les régimes à points, car il favoriserait l’emploi : « Il n’est pas efficient de limiter la mobilité professionnelle entre les secteurs (par exemple en raison de la durée d’acquisition des droits ou de la portabilité limitée des droits), car cet état de fait induit des rigidités de gestion de carrière et restreint les possibilités pour les travailleurs de s’adapter aux évolutions des secteurs d’activité et de tirer parti de nouvelles opportunités d’emploi. L’unification des régimes de retraite faciliterait ces choix et favoriserait la mobilité de la main-d’œuvre », écrivent noir sur blanc les économistes dans un rapport (« Perspectives de l’OCDE sur les pensions », 2016).

Les points  critiques : le problème du financement reste entier

Pour autant, un tel changement de système ne résout pas les difficultés récurrentes que connaissent nos régimes actuels – à commencer par le problème du financement. « La décision politique la plus importante concernant l’avenir des retraites ne porte pas sur leur organisation systémique, mais sur le niveau du financement consacré aux régimes publics », souligne d’ailleurs Daniel Rallet, membre du secrétariat du Snes (Syndicat national des enseignements du second degré) et représentant du Snes-FSU au sein de l’Association pour la taxation des transactions financières pour l’action citoyenne (Attac). Le Conseil d’orientation des retraites (COR) lui-même le confirme : « Aucune technique ne permet en elle-même d’assurer le retour à l’équilibre financier d’un régime de retraite déséquilibré ». Ce point de vue est partagé par les experts. « Ce n’est pas en changeant la tuyauterie qu’on va résoudre le problème de fond », remarque Norbert Gautron, actuaire certifié IA et président de Galea & Associés. « L’équilibre financier du régime dépendra de la valeur accordée au point, ou, dans un système notionnel, du coefficient de conversion adopté, poursuit-il. La vraie question liée au financement, c’est donc l’objectif que l’on se fixe au départ : par exemple, est-ce qu’un retraité a besoin d’un taux de remplacement de 70 % de son salaire brut ? Où se situe la notion d’égalité en termes de retraite ? Faut-il verser un capital au départ, ou une rente ? Ce sont ces questions qu’il faut résoudre, et ce sont des choix de société… » Des choix qui selon lui relèvent du politique, les actuaires n’étant là que pour fixer les équilibres une fois connues les données de l’équation. Jean-Marie Harribey, professeur agrégé de sciences économiques et sociales et coprésident du conseil scientifique d’Attac enfonce le clou : « Aucun équilibre automatique n’existe. Cette croyance repose sur une erreur de perspective : à chaque instant, le versement de pensions est fonction non pas du niveau de richesse antérieur, mais du niveau de richesse présent. » Si bien que « garantir un système de retraite, à la fois globalement et pour chacun, suppose que le travail soit partagé et que l’emploi reste une priorité ».

Un coût de départ astronomique

Qui plus est, les premières années de la réforme – qui devra être mise en place de manière progressive –, la question du financement sera d’autant plus centrale que le coût même du changement de régime promet d’être astronomique… Mais, assurent les experts, à long terme, une fois que les choses seront installées, le système universel sera moins coûteux à gérer que le mille-feuille actuel. « S’agissant de l’efficience, l’unification des régimes de retraite se traduit par des économies d’échelle, en matière de recouvrement des cotisations, de comptabilisation des droits et de paiement des prestations, par exemple », note même l’OCDE.

« Où se situe la notion d’égalité en termes de retraite ? Faut-il verser un capital ou une rente ? Ce sont des choix de société »
Norbert Gautron
Président de Galea & Associés

 

L’allongement de l’espérance de vie, une épée de Damoclès

Outre qu’il laisse entier le problème du financement, le système à comptes notionnels introduit également un nouveau risque : le risque de longévité. Concrètement, plus l’espérance de vie est longue, plus la retraite est faible. La valeur du point est ainsi calculée chaque année en fonction de l’espérance de vie de chaque génération. Or, selon certains, dont fait partie Daniel Rallet, les inégalités d’espérance de vie rendent le système « pervers » : « Le fait de retenir l’espérance de vie moyenne d’une génération au moment du départ en retraite revient à nier les très grandes différences d’espérance de vie entre les classes sociales et entre les professions au sein d’une génération. Et, à l’inverse, introduire les différentiels d’espérance de vie dans une génération aurait un effet désastreux sur les femmes, déjà victimes en amont de discriminations au travail et de carrières discontinues et précaires », argumente-t-il. Sans compter qu’un fort accroissement de la longévité, par exemple lié à des progrès médicaux majeurs dans la lutte contre le cancer ou les maladies cardiovasculaires, pourrait déséquilibrer le système. Le régime à comptes notionnels est structurellement un régime à cotisations définies : contrairement aux régimes par annuités, le taux de remplacement n’est pas connu. Ainsi, si chaque actif connaît le montant de son capital de points virtuel, il est impossible d’en déduire le montant de sa pension au moment de la liquidation.

Les spécificités des régimes remises en cause ?

Que deviendront les spécificités des régimes, telles que les mécanismes de réversion, les majorations pour enfants à charge, la prise en compte de la pénibilité ou du handicap… qui se traduisent dans les pensions ? Comment valoriser les droits déjà acquis ? Un casse-tête annoncé, d’autant que ces spécificités peuvent être différentes d’un régime à l’autre : ainsi les enfants ne donnent-ils pas lieu à la même majoration dans le privé (8 trimestres) que dans la fonction publique (4 trimestres). « Une partie de la complexité résidera dans la mise en œuvre, reconnaissent Pierre-Alain Boscher et Cyril Manach. Si le passage est simple sur un plan macro, l’enfer sera dans le détail. » D’autant que, comme le remarque Norbert Gautron, « il ne faut pas spolier les gens, mais il ne faut pas non plus aligner tout le monde sur le haut, car sinon on augmentera le problème de financement ».

« Retenir une espérance de vie moyenne d’une génération revient à nier les très grandes différences entre les classes sociales et entre les professions »
Daniel Rallet
Membre du Snes, représentant du Snes-FSU au sein d’Attac

 

Vers un appauvrissement des retraités ?

Beaucoup redoutent d’ores et déjà un accroissement des inégalités, un recul de l’âge de départ et un appauvrissement global des retraités. La logique du système à points, à cotisations définies, veut en effet que ce soient les retraités qui « ajustent » le régime par le biais des prestations. Logique, selon Daniel Rallet : « Cette paupérisation relative des retraités, estimée de 15 à 30 % selon les scénarios du COR, est le choix politique fondamental qui a inspiré la plupart des réformes des retraites. C’est aussi celui que les auteurs de ces réformes ont cherché à masquer et qui n’a jamais fait l’objet d’un débat politique et démocratique. » De plus, en toute logique, l’augmentation de l’espérance de vie conduirait à un recul de l’âge de départ. « Dans tous les pays où le système a été mis en place, on a vu reculer l’âge de départ à la retraite », relève Brigitte Écary. Les chiffres le confirment : ainsi, en Suède, les actifs peuvent partir dès 61 ans mais l’âge moyen auquel ils prennent leur retraite était de plus de 65 ans en 2014, contre moins de 60 ans en France, selon l’OCDE. En Italie, le phénomène est encore plus flagrant : l’âge de départ, qui était de 60 ans pour les hommes au milieu des années 1980 (55 ans pour les femmes), a dépassé les 66 ans et s’achemine vers les 67 ans, contre 62,9 ans en moyenne dans les pays de l’OCDE ! Et il devrait atteindre les 67 ans en 2019, en lien avec l’augmentation de l’espérance de vie. Le système même inciterait les individus à travailler plus longtemps, puisque le calcul du coefficient de conversion prend en compte l’âge de départ : plus une personne décide de prendre sa retraite tard, plus sa pension est élevée. A contrario, les personnes qui souhaiteraient prendre leur retraite plus tôt pourront le faire, mais en contrepartie d’une pension plus faible. L’âge de la retraite ne devenant plus qu’un curseur, et non plus un couperet sur lequel les politiques pourront s’entredéchirer…

« Dans tous les pays où le système a été mis en place, on a vu reculer l’âge de départ à la retraite »
Brigitte Écary
Présidente de Spac Actuaires

 

Une véritable « privatisation » de la retraite ?

Pour les assureurs, les actuaires et les économistes, un autre effet du changement de système pourrait être le développement des produits d’épargne-retraite individuels. C’est d’ailleurs aussi l’objectif : on sait que le blocage des financements publics ouvre un espace pour les financements privés avec des systèmes à plusieurs étages, obligatoires ou facultatifs, et leur cortège d’inégalités. L’OCDE le souligne avec insistance : « Les régimes dans lesquels il existe un lien plus clair et direct entre les cotisations et les prestations (plans à cotisations définies) deviennent plus étendus. Par conséquent, les individus doivent maintenant prendre des décisions relatives à leur retraite et assumer les risques liés à l’épargne-retraite, tels que le risque d’investissement et le risque de longévité, qui peuvent entraîner une insuffisance du revenu de retraite. Ceci contraste avec les régimes de retraite à prestations définies, pour lesquels ces risques sont assumés par les employeurs ou par l’État. » Pour les opposants au système, cela se traduirait par une véritable « privatisation » de la retraite, avec un rôle important dévolu en France à l’assurance-vie et à l’immobilier.

Une réforme
de longue haleine

Si les modalités exactes de la réforme sont encore à l’étude, une chose semble d’ores et déjà acquise : il s’agira d’un chantier de très longue haleine. « On est sur un calendrier qui va dépasser le quinquennat de Macron », affirme Pierre-Alain Boscher, chez Optimind Winter. Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques, qui a travaillé avec les équipes d’Emmanuel Macron pendant la campagne, insiste : « Il faudra plusieurs années pour préparer et réussir la réforme ». Une délégation ministérielle à la réforme des retraites, rattachée à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, devrait être nommée vers septembre ou octobre, avec l’objectif de parvenir à un accord de méthode pour « mi-2018 ». Une loi-cadre donnerait ensuite le calendrier de la réforme. Calendrier rendu encore plus complexe du fait des dernières prévisions du Conseil d’orientation des retraites. Selon le COR, le retour à l’équilibre des régimes actuels n’interviendra pas avant les années 2040, soit vingt ans plus tard que ce qui était initialement prévu… « Ce serait beaucoup plus simple de basculer si on était à l’équilibre, car dans le cas contraire le système actuel donnera la perception qu’il est plus généreux… », note Antoine Bozio.

–    POINT DE VUE   –

Antoine Delarue
Directeur-fondateur de Servac Consulting, actuaire certifié IA,
spécialiste du financement de la protection sociale, notamment de la retraite

« Découpler les droits contributifs et les droits non contributifs est la clé d’une adaptation aux besoins »

 

Êtes-vous favorable à une nouvelle réforme des retraites ?
Antoine Delarue : Il faut partir d’un diagnostic lucide sur les forces et les faiblesses du système existant. Sa force est de procurer un haut niveau de remplacement aux carrières linéaires complètes effectuées dans chacun des régimes composant le dispositif. Loin d’être un archaïsme, leur hétérogénéité selon les situations et les statuts professionnels a permis justement une bonne adaptation à des terrains variés, suscitant l’attachement des cotisants fidèles. Un régime unique aurait inévitablement nivelé par le bas (ou va le faire), y compris l’appétence à cotiser, pourtant essentielle à la pérennité de la répartition. Je n’y suis pas favorable. Sa faiblesse tient à la pénalisation relative des parcours pluriels, choisis ou subis, propres à la génération Y. Passant d’un régime à l’autre, ils n’auront accès ni aux bonus ni aux garanties des cotisants restant dans leur silo, alors même qu’ils cotisent comme eux. Le manque de lisibilité et de filet de sécurité de la retraite de ces carrières mobiles ou hachées est grave car cette population est ou se met justement le plus en risque économique.

Comment rétablir équité et lisibilité quel que soit le parcours ?
Antoine Delarue : Le fonctionnement en points fournit une piste solide car il garantit par construction l’équité contributive. La pluralité des régimes pourra être conservée pourvu que les conditions de liquidation des différents points soient harmonisées (mêmes âge pivot et coefficients de modulation avant et après). La lisibilité de la retraite découlera de la simple addition des droits acquis dans les différents régimes traversés, sans la complication actuelle des calculs parasites en trimestres et de l’effet de seuil du « taux plein ». Le trimestre tel qu’il est repéré pourra par contre servir d’unité pour les droits additionnels à accorder aux carrières méritantes (enfants élevés, longue durée, etc.) ou fragiles. Ces droits non contributifs seront servis sur une base égalitaire, par un régime cette fois unique. Les actifs à risque, tels que les « Neets », pourront être détectés par leurs parcours en trimestres et se voir proposer des parades adaptées (formation, rachat de trimestres, minimum par trimestre validé, etc.) selon des modalités à inventer. Le découplage des droits contributifs et des droits non contributifs est ainsi la clé d’une adaptation aux besoins d’une économie et d’une société plus fluides mais toujours solidaires. Les premiers seront servis par les structures existantes, recentrées et basculées en points, les seconds regroupés dans un régime transversal de solidarité (RTS), assurant un filet de sécurité d’ensemble avec un financement distinct.

Passer à un système à points présente-t-il des avantages ?
Antoine Delarue : Le découplage libérera le potentiel d’innovation des points en introduisant de nouvelles flexibilités respectant l’équité. La retraite par étapes, déclenchant une simple majoration des valeurs d’achat des points ultérieurs, ouvrira la voie à de secondes carrières très populaires, sans la complexité ni l’iniquité des dispositifs actuels de cumul emploi retraite ou de retraite progressive. Le prépartage des droits conjugaux exprimés en points protégera les survivants d’unions fragmentées plus efficacement que les règles actuelles de réversion, disparates et inéquitables.