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Et si… les poissons des mers disparaissaient

12 novembre 2049

L'actuariel 29 - Juin 2018

Écologie

Des rumeurs venant du siège de l’ONU indiquent que l’organisation s’apprêterait à interdire la pêche au niveau mondial. Retour sur les causes de l’effondrement des ressources halieutiques.

Selon notre correspondant permanent au siège de l’ONU à New York, la FAO (l’organisation onusienne pour l’alimentation et l’agriculture) serait sur le point d’interdire la pêche dans toutes les mers du monde. L’explication : la totalité des océans serait désormais surexploitée sur le globe. « Si cette nouvelle s’avère fondée, elle n’aurait rien de surprenant, affirme Louis D., biologiste et océanographe à l’Institut océanographique mondial depuis 2037. Les prises de poissons ont commencé à stagner dans les années 1990. Mais on a continué à pêcher toujours plus loin des côtes, toujours plus profond, pour attraper des poissons toujours plus petits, comme le montrait déjà le livre Une mer sans poissons, sorti dès 2008 (1). Cela fait des décennies que les scientifiques alertent sur le dépeuplement des océans. »

De fait, en 2016, soit il y a déjà 33 ans, les chercheurs Daniel Pauly et Dirk Zeller ont clairement établi que les chiffres sur lesquels se basait la FAO étaient faux(2). « Selon eux, il y avait une différence de plus de 50 % entre les quantités officielles de poissons pêchés et la réalité, poursuit Louis D. Ils réclamaient que la FAO intègre dans ses calculs les rejets de poissons morts ou abîmés (parfois jusqu’à 90 % d’une prise), mais surtout les prises illégales. Ils soutenaient notamment que la Chine capturait environ dix fois plus de poissons que ce qu’elle déclarait. » Un an plus tard, en 2017, un rapport de Greenpeace sur les razzias réalisées au large de l’Afrique de l’Ouest par la pêche industrielle chinoise et européenne illustrait leurs affirmations(3).

Même partielles, les données de la FAO avaient déjà de quoi inquiéter : environ 80 millions de tonnes de poissons pêchés par an (contre 20 millions en 1950), plus de 30 % des stocks de pêche surexploités et 60 % exploités au maximum. En 2035, la part des stocks surexploités est passée à 50 %. « Un chiffre toujours dramatiquement sous-estimé, s’indigne Raphaël B., fondateur de l’ONG OceanRebirth. Mais le pire, c’est que, depuis 2035, ces 50 % n’ont officiellement pas bougé, comme si l’agonie des ressources halieutiques s’était miraculeusement stoppée. La vérité, c’est que la FAO a organisé un blocus de l’information. Voilà pourquoi aujourd’hui, on en arrive à une solution radicale qui aurait pourtant pu être évitée ! » En cause selon lui, non seulement la pêche destinée directement à la consommation humaine, mais aussi l’aquaculture : « L’aquaculture représentait déjà la moitié de la consommation mondiale de poissons en 2018. Aujourd’hui, on en est à plus des trois quarts ! » Or l’aquaculture a tout de la fausse bonne solution : « On l’a massivement mise en place pour combler l’écart entre la demande de poissons et la diminution des captures en milieu naturel. Mais les poissons d’élevage sont majoritairement carnivores et mangent donc d’autres poissons », enchaîne Raphaël. Résultat : il faut environ 5 kilos de poissons sauvages pour produire 1 kilo de poissons d’élevage type saumon. « Toutes les données du problème étaient déjà exposées dans le dossier d’alerte The dark side of aquaculture rédigé par l’association Bloom à la fin des années 2010 ! », poursuit-il.

« Pourtant la solution existait bel et bien pour remplacer le poisson ! », se récrie l’ONG InsectForAll, créée en 2029. « Les insectes constituent un apport protéique plus élevé que le poisson et contiennent autant d’acides gras, sans compter des fibres et des oligoéléments », précise-t-elle. En outre ils sont beaucoup moins gourmands : seulement 2 kilos de nourriture (céréales, fruits et légumes) sont nécessaires pour obtenir 1 kilo d’insectes, contre 25 kilos pour 1 kilo de bœuf, et il faut environ 50 fois moins d’eau pour obtenir des protéines d’insectes qu’il n’en faut pour des protéines de bœuf. Enfin, cet élevage n’émet quasiment pas de gaz à effet de serre.
« La disparition des poissons est également liée au changement climatique, qui a multiplié les zones mortes dans les océans. Là encore, le phénomène est connu et étudié depuis des décennies(4) et, là encore, les mesures prises n’ont pas été à la hauteur des enjeux », souligne Louis D.

Enfin, il y a aujourd’hui plus de plastique que de poissons dans les océans, et les poissons, gavés de nanoparticules de cette matière, meurent en masse. Il y a 32 ans, en 2017, l’ONU avait pourtant lancé une opération CleanSeas(5). À cette date, 8 millions de tonnes de plastique étaient chaque année rejetées dans les mers, contre près du double aujourd’hui… Devant une telle multiplicité de causes clairement identifiées et pourtant non traitées, les risques de contestation face à une éventuelle interdiction de la pêche sont réels. Si jamais la rumeur concernant l’ONU se confirmait demain, il faudrait sans nul doute s’attendre à de graves troubles…

13 novembre 2049

L’interdiction de la pêche a bien été prononcée par l’ONU. Récit chronologique des événements consécutifs à ce fait sans précédent.

14 h Un communiqué de l’ONU confirme les informations qui avaient filtré hier : la FAO interdit la pêche à compter de ce jour dans tous les océans du monde, pour préserver la capacité à se renouveler des quelques réserves encore épargnées.

14 h 10 Le réseau social FamineWatch est le premier à réagir. Créé il y a dix ans par un groupe d’ONG internationales, il a pour mission de trouver les solutions les plus rapides possible aux situations de crises liées à la famine. Mais, aujourd’hui, ce ne sont pas les membres des ONG qui communiquent. Le réseau est pris d’assaut par des inconnus de tous les pays dont la sécurité alimentaire dépend encore largement de la pêche de subsistance. Le message le plus largement repris : « Call for revolt ». « L’ONU n’arrivera jamais à faire respecter cette interdiction par tous ceux qui pratiquent cette pêche vivrière le long des côtes, explique Gabriel E., coordinateur national de FamineWatch. Ce serait les condamner à mourir de faim même si, tout le monde le sait, la quasi-totalité des poissons est contaminée par des nanoparticules de plastique, des métaux lourds et des antibiotiques issus de l’aquaculture. »

15 h StopOverFishing, un mouvement lancé par des activistes de la protection des océans, lance un appel au pillage des magasins d’alimentation de luxe dans les capitales occidentales. « C’est un mouvement pacifiste en temps normal, mais là, ils perdent le contrôle de leurs troupes. Il y a un risque fort que ce mouvement se transforme en émeutes de la faim et s’étende aux grandes villes des pays de l’hémisphère Sud », souligne Jeanne B., sociologue et auteur d’une thèse sur la radicalisation des mouvements civiques contestataires à partir de 2030.

16 h Des vidéos tournées en pleine mer commencent à circuler sur le Dark Web. Mises en ligne par des pirates (des vrais) qui sillonnent les océans au large des côtes africaines, dans le golfe du Bengale, dans la mer d’Arabie ou dans la mer des Philippines, elles montrent des hommes surarmés qui déclarent la guerre à quiconque les empêcherait de continuer à pêcher. « Cela fait dix ans que, dans toutes les mers d’Asie, à l’exception de la mer de Chine orientale, contrôlée par les navires de pêche militaires chinois, la guérilla est permanente : elle oppose des milices illégales et des bateaux de pêche dits officiels mais pratiquant une pêche tout aussi irrégulière. L’annonce de l’ONU est perçue comme une provocation et l’embrasement est quasiment assuré », s’inquiète Daphné C., géopolitologue.

16 h 30 Un comité international de biologistes diffuse auprès des principales agences de presse mondiales un communiqué mettant directement en cause l’ONU : « Nous avons commencé à lancer des alertes au début du siècle. La situation actuelle n’est que la suite logique de ces décennies de négligence et – nous le disons haut et fort aujourd’hui – de soumission au pouvoir des lobbys de la pêche de la part de toutes les instances gouvernementales mondiales qui n’ont pas eu le courage d’interdire le chalutage en eau profonde, la pêche électrique et bien sûr le dépassement des quotas. »

17 h Les agences de presse internationales annoncent que les actions de pillage ne concernent plus uniquement les magasins alimentaires et qu’elles s’étendent aux pays non occidentaux. Par ailleurs, des pirates des mers d’Asie du Sud-Est déclarent se rendre en mer de Chine orientale pour pénétrer dans les zones illégalement contrôlées par la Chine.

18 h 20 Un économiste interpelle la Banque mondiale sur FamineWatch et l’accuse de ne pas avoir assez alerté sur ce qui est aussi une catastrophe économique. « Faux ! », répond la Banque mondiale : en 2017, nous avons sorti un rapport dont le titre était sans équivoque : « The Sunken Billions ».

19 h 40 Les agences de presse précisent que les émeutes touchent désormais tous types de magasins alimentaires dans la quasi-totalité des grandes villes côtières de l’Afrique et de l’Asie du Sud-Est. Par ailleurs, les pirates auraient engagé les combats en mer de Chine orientale.

21 h StopOverFishing proteste contre le tabassage de ses militants par les forces de l’ordre et encourage les victimes à la légitime défense. Sur le Dark Web, des vidéos confirment que pirates et navires chinois ont ouvert le feu.

14 novembre 2049

Suite aux émeutes touchant toutes les grandes villes du monde et à l’aggravation des conflits en mer de Chine, l’ONU publie un nouveau communiqué.

8 h 30 L’ONU annonce que 10 000 casques bleus sont déployés dans les zones de conflit maritime ; 10 000 autres partent dans les villes où les émeutes font rage pour aider les ONG humanitaires à distribuer des vivres. En outre, et en coordination avec la Banque mondiale, l’ONU met en place un programme de financement spécial pour développer une aquaculture raisonnée. Enfin, l’interdiction de la pêche est levée pour la pêche artisanale de subsistance et l’Organisation mondiale de la santé s’engage à publier la liste des poissons les plus contaminés par diverses pollutions et donc impropres à la consommation…

Poissons en danger

Si rien n’est fait pour enrayer la surpêche, la totalité des océans sera surexploitée, ce qui empêchera le renouvellement des stocks. C’est déjà le cas en mer Méditerranée, qui se transforme en désert liquide. Un désastre écologique, mais aussi une catastrophe pour la sécurité alimentaire mondiale.

En chiffres

10 kg : consommation apparente de poisson par an et par personne dans le monde dans les années 1960
20 kg : consommation apparente de poisson par an et par personne dans le monde en 2016
1990 : décennie où les prises naturelles de poissons ont commencé à stagner
2014 : année où la contribution de l’aquaculture a dépassé celle des prises naturelles
30 % : part des océans actuellement surexploitée
148 milliards de dollars : montant du commerce mondial du poisson et des produits halieutiques en 2014

Source : Chiffres issus du rapport de la FAO La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2016. Contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition de tous.

1. Une mer sans poissons, Philippe Cury, directeur de recherche à l’IRD, et Yves Miserey, éd. Calmann-Lévy
2. www.nature.com
3. « Le coût de la destruction des océans », Greenpeace, novembre 2017.
4. https://ocean-climate.org/
5. http://web.unep.org.