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CHRISTIAN NOYER

GOUVERNEUR DE LA BANQUE DE FRANCE

L'actuariel 16

Économie Finance Finances publiques
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La Grèce pourrait-elle sortir de l’euro et, si cela venait à arriver, quelles en seraient les conséquences ?

Christian Noyer : La Grèce ne doit pas sortir de l’euro. Le problème fondamental de la Grèce est de trouver la voie d’une croissance solide. Elle a vécu pendant les dix premières années de son appartenance à l’euro comme un pays dépensant plus qu’il ne produisait, avec un déficit extérieur qui était comblé par des transferts de fonds de l’Union européenne et grâce à des crédits que recevaient l’état et les agents économiques de la part de prêteurs divers. C’est une situation intenable pour tout pays, qu’il soit dans ou en dehors de la zone euro. Si on veut lutter contre l’extrême pauvreté et faire décoller l’économie du pays, il est nécessaire d’engager des réformes. L’euro fournit un cadre qui aide à cela. Il est indispensable qu’il y ait une remise en l’état de la compétitivité et les salaires doivent s’ajuster. D’ailleurs, dans l’hypothèse théorique d’une sortie de l’euro, il y aurait un réajustement imposé par une forte dévaluation et donc il y aurait une forte baisse du pouvoir d’achat, sans doute supérieure à celle qui est demandée dans le cadre du programme d’ajustement assorti d’un soutien financier. De façon générale, la dévaluation d’une monnaie ne résout rien par elle-même si elle n’est pas assortie d’un plan de redressement.

Pensez-vous que toutes les leçons de la crise financière de 2008 ont été tirées ?

Christian Noyer : Beaucoup de leçons ont été tirées mais le travail n’est pas terminé. Il y a encore des chantiers en cours, comme finaliser l’obligation de compenser et d’inscrire dans les registres de transactions les instruments dérivés. Les législations ont été en partie adoptées. Il faut nous assurer une comparabilité des informations, un accès à ces informations et une reconnaissance des règles entre les grandes zones de compensation, en particulier entre les États-Unis et l’Europe. L’opacité, l’empilement des instruments dérivés sans compensation ont été une cause importante de déstabilisation lors de la chute de Lehman Brothers. Mais ce chantier devrait être fini cette année. Il y a un autre grand chantier à mener cette année, qui est celui du shadow banking, tout ce qui concerne la finance parallèle. Il faut mieux contrôler les acteurs systémiques. Des avancées ont été accomplies, comme le fait d’avoir une réglementation protectrice sur les fonds monétaires, ou les réformes engagées pour interdire une utilisation multiple de mêmes actifs en garantie de plusieurs opérations de mise en pension. Sur la réglementation bancaire, nous avons fait l’essentiel. La directive Bâle 3 a été transposée et, sous la pression des marchés, les banques ont augmenté leurs fonds propres beaucoup plus rapidement que le calendrier réglementaire, qui est progressif jusqu’en 2019.

Qu’en est-il du secteur des assurances ?

Christian Noyer : Au niveau international, nous sommes moins avancés mais il y a eu tout de même des évolutions notables. L’organisme normatif international, l’IAIS, s’est réformé et a acquis une vraie stature. Il s’adosse à la BRI (1), la Banque des règlements internationaux, et nous l’aidons à prendre son autonomie vis-à-vis de l’industrie et à se mettre en capacité de fabriquer les normes internationales. Certes, nous avons pris le problème de l’élaboration des normes internationales un peu à l’envers, puisque nous avons commencé par les institutions systémiques et donc par la définition de règles de surveillance rapprochée. Et définir des couches de protection de capital supplémentaires lorsqu’il n’y a pas de normes générales, c’est toujours compliqué. Mais aujourd’hui, nous nous attelons à créer une norme d’exigence de capital dans l’ensemble du secteur des assurances, fondée sur une prise en compte des risques qui soit davantage harmonisée. L’Europe en est à un stade plus avancé avec la directive Solvabilité II. Mais cette dernière a été conçue avant la crise, à un moment où le mark-to-market était devenu une norme de calcul des risques. Or, autant la philosophie fondamentale de Solvabilité II, qui est de dimensionner les fonds propres par rapport à une mesure des risques (comme on le fait dans la réglementation du Comité de Bâle pour les banques), est une bonne réforme – car il est normal d’avoir des fonds propres ajustés en fonction de la nature des risques –, autant la déclinaison qui en a été faite, notamment pour l’assurance-vie, aurait dû dès le départ tenir compte de la nature parfois très longue de ces passifs, qui réduit en partie l’exposition des assureurs aux fluctuations de court terme des marchés. Cela a été partiellement corrigé depuis. J’espère que l’on va revenir vers un ensemble plus structurel qui tiendra mieux compte de la duration du passif, permettant ainsi aux assureurs d’optimiser leur gestion actif-passif.

Dans ce contexte, quel peut être le rôle des actuaires ?

Christian Noyer :Il y a une conjonction entre ces règles et le fait que l’on va vivre pendant un certain temps dans une période de taux très bas. La politique monétaire a, parmi ses objectifs, celui de favoriser des placements plus risqués. Si un certain nombre d’assurés sont incités à déplacer leurs actifs en euros vers des actifs en unités de compte, il y aura un rendement supérieur sans prise de risque supplémentaire pour l’assureur dès lors qu’il peut couvrir le minimum promis sur les unités de compte. Si c’est indexé sur l’indice de l’unité, il n’y a aucun problème et, s’il y a un minimum de revalorisation, au bout de quelques années, il existe des instruments de couverture accessibles. Le rôle des actuaires dans ce contexte sera très important pour calculer la réalité des engagements, évaluer la capacité des assureurs à fournir ce qui est promis dans le contrat et vérifier la réalité des rendements affichés. Plus généralement, l’actuariat devient dans Solvabilité II une fonction clé. Cela permettra aux actuaires de mieux faire valoir leur capacité à analyser et à prévenir les risques dans un environnement qui est de plus en plus volatil.

Pensez-vous que le secteur de l’assurance est bien préparé à Solvabilité II ?

Christian Noyer : J’ai le sentiment qu’il y a eu beaucoup de progrès, tant dans la gouvernance que dans la compréhension des règles imposées. Nous l’avons vu lors des derniers tests. Donc je suis assez confiant sur le fait que le secteur sera prêt en temps et en heure. C’est vrai pour les grandes compagnies mais également pour les autres. Néanmoins, il ne faut pas chômer, car l’échéance se rapproche.

Quel bilan tirez-vous des cinq ans de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ?

Christian Noyer : Le bilan est très positif. Nous avons réussi, comme le législateur le souhaitait, à marier la culture du contrôle du secteur bancaire à celle du secteur des assurances et des mutuelles. à la fois au niveau du collège, avec des professionnels qui viennent des différents secteurs, et avec les services, composés de professionnels du contrôle. Nous avons été capables de faire progresser nos méthodes de contrôle en tirant le meilleur de l’expérience de chacun et puis nous avons développé en commun le contrôle des pratiques commerciales, qui fonctionne de façon horizontale. Cette capacité à se coordonner sur des problématiques transversales comme la bancassurance permet d’intervenir de manière plus pertinente dans les négociations internationales qui ont été une priorité forte ces dernières années. Pour les années à venir, il y a quelques sujets importants à traiter. Par exemple, sur le secteur bancaire, nous avons des discussions sur la total loss absorbing capacity (TLAC) – en cas de résolution, il nous faut fixer le niveau de titres permettant d’absorber des pertes qui assure une restructuration de l’entité en difficulté sans léser les déposants. Toujours du côté bancaire, il faut construire et faire vivre l’Union bancaire. C’est compliqué car la responsabilité est centralisée mais l’organisation est de type fédéral et les prises de décision collectives. C’est un processus qui nécessite un apprentissage. Nous avons mis des années pour mettre au point un processus de contrôle et de validation des modèles. Et il va falloir maintenant comparer les différents modèles entre banques européennes. Dans le domaine des assurances, nous avons surtout le déploiement de Solvabilité II avec la mise en œuvre des dispositifs de reporting qui sont plus sophistiqués qu’avant. Et l’instauration des règles de gouvernance avec le Pilier 2, qui sont plus une novation dans le secteur de l’assurance que dans le secteur de la banque.

Quels sont les nouveaux risques qui vous paraissent les plus préoccupants ?

Christian Noyer : Il y a plusieurs phénomènes que doivent surveiller de près la profession, ceux qui les aident (commissaires aux comptes, actuaires, sociétés de services…) et les contrôleurs/superviseurs. En particulier des éléments qui tiennent aux changements de mode de vie et aux progrès technologiques. Dans le domaine bancaire, il y a particulièrement le paiement électronique, qui induit de nouveaux risques. Des risques de fraude, des risques d’erreurs, des risques d’intrusion, auxquels il faut des parades. Il faut les imaginer avant que ces risques ne se réalisent. Le crowdfunding aussi est à surveiller, avec des risques de crédit pris par des particuliers. Il faut essayer de mesurer l’ampleur du risque, d’instituer une réglementation afin de ne pas avoir des risques impossibles à gérer par des personnes qui en prendraient trop sans se rendre compte de ce qu’elles font. Dans le domaine de la stabilité financière, les monnaies virtuelles sont quelque chose d’extrêmement dangereux en termes de fraude (blanchiment d’argent sale) et de stabilité. Nous ne pouvons les ignorer et laisser des particuliers courir le risque d’être ruinés. Nous avons donc fait le choix d’alerter le public sur leur dangerosité. Dans le domaine de l’assurance dommage, le changement climatique oblige à prévoir chaque année des évolutions que l’on a parfois du mal à mesurer. C’est un défi important. Du côté des produits d’assurance de personnes, les assureurs vont devoir créer et adapter des produits afin de couvrir les risques dus à l’allongement de l’espérance de vie et réfléchir au problème de la dépendance. Il va falloir être vigilant, chercher les parades ou trouver les produits adaptés.

1. Christian Noyer est président du conseil d’administration de la BRI, Banque des règlements internationaux

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