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EMMANUELLE HUET & BENOIT HALGAND

Militants du collectif Pour un réveil écologique*

L'actuariel 36

Écologie Environnement Sociologie

Emmanuelle Huet et Benoît Halgand appellent les entreprises à placer la décarbonisation au cœur de leur modèle.

Emmanuelle HUET
24 ans, étudiante en troisième année à l’Essec et consultante pour Carbone 4, cabinet de conseil dans la stratégie bas carbone.

Benoît HALGAND
21 ans, étudiant en troisième année à Polytechnique et vice-président de l’association Développement durable à l’X.


Vous êtes tous les deux militants au sein d’associations défendant la cause écologique. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager ?

Emmanuelle HUET : Au départ, je m’intéressais davantage aux questions sociales. Je m’étais d’ailleurs engagée au sein du Nouvel Observatoire de l’innovation sociale et environnementale (Noise), une association étudiante proche de l’économie sociale et solidaire. En parallèle, je me suis peu à peu formée aux problématiques environnementales. Ce n’est que fin 2018, lors d’une conférence, que le vrai déclic s’est produit. J’ai commencé à faire le lien entre toutes les failles de notre système économique et social et à réaliser que l’ensemble de ces défaillances menaçaient le système terre tout entier, et les conditions mêmes de l’existence de l’homme. J’ai alors pris conscience que la préservation de l’environnement était l’enjeu principal pour lequel il fallait que je me batte. Passé la première phase de choc, j’ai rejoint le collectif Pour un réveil écologique.
Benoît HALGAND : Depuis le lycée, je suis sensible à la question écologique. J’essaie d’avoir le minimum d’impact possible dans mes choix personnels. En arrivant à l’X, je me suis inscrit aux conférences de l’association de développement durable de l’école (DDX – Développement durable à l’X) et j’ai pris la mesure de l’ampleur du phénomène. Je me suis alors engagé dans l’association puis au sein du collectif.

Quels sont les objectifs du collectif Pour un réveil écologique ?

Emmanuelle HUET : Il s’agit d’inciter nos futurs employeurs, dans le privé comme dans le public, à placer l’écologie au centre de leur stratégie. Parce qu’aujourd’hui nous nous étonnons du décalage entre les appels de la communauté scientifique et le manque de réactivité des acteurs privés. Bien sûr, il faut que chacun commence par des actions individuelles. Mais cela ne peut suffire à modifier le système de manière globale. Si nous ne faisons pas bouger les entreprises et l’État, le changement restera marginal. S’agissant des entreprises, nous attendons qu’elles questionnent la place de leur activité, l’utilité de leur business dans un monde décarboné et qu’elles mettent en place des actions concrètes pour s’adapter à cet objectif. Les initiatives de l’ordre du changement de touillettes en plastique à la cantine ne nous intéressent pas. C’est sur le cœur de leur modèle que les acteurs doivent travailler. Selon les secteurs, le chemin sera très différent. Une entreprise de conseil devra par exemple se concentrer sur la minimisation des déplacements professionnels, et un groupe dans l’énergie réfléchir à la manière de sortir de l’extraction des énergies fossiles… Pour résumer, nous répondons à une double vocation. Nous voulons à la fois inciter les étudiants à se poser les bonnes questions quand ils songent à leur avenir professionnel et pousser les entreprises à relever leurs ambitions en matière écologique.

Comment jugez-vous les efforts des entreprises ? À les écouter, elles ont pris ces sujets à bras-le-corps…

Benoît HALGAND : Les entreprises sont effectivement loin d’être suffisamment engagées sur les questions environnementales. La majorité d’entre elles n’y voient encore qu’un risque réputationnel et ne considèrent pas ce sujet comme une véritable menace physique et financière, et ne prennent donc pas d’importants virages stratégiques. Nous constatons aussi que les dirigeants multiplient les déclarations sur ce sujet : est-ce que cela témoigne d’une prise de conscience avec une volonté de se transformer ou est-ce un simple effet d’annonce ? C’est difficile à dire, et ces deux intentions peuvent parfois cohabiter. Cependant, nous remarquons quelques initiatives intéressantes. Engie, par exemple, a vendu toutes ses centrales à charbon et souhaite proposer davantage de services énergétiques. C’est une belle avancée, même si le groupe doit encore évoluer pour rester dans le cadre des limites fixées au niveau planétaire. Beaucoup d’entreprises se contentent de faire de l’optimisation, c’est-à-dire d’améliorer leurs processus là où elles le peuvent afin de réduire leur impact. D’autres encore se lancent dans des stratégies de compensation de leur impact sur la planète et de plus en plus de gros pollueurs s’engagent dans des programmes de plantation d’arbres. Tout cela représente une première étape, mais qui ne peut suffire à inverser la tendance actuelle. Les entreprises doivent se préparer à des changements beaucoup plus profonds, ce qui suppose d’accepter de questionner leur propre activité…
Emmanuelle HUET : De toute façon, c’est dans leur intérêt. Si les entreprises veulent perdurer sur le long terme, elles doivent prendre le chemin de la décarbonisation. Sinon, elles mettront la clé sous la porte. Il y a eu, c’est vrai, de grands progrès ces dernières années, mais cela est loin d’être suffisant. Les entreprises prêtes à remettre en cause leur cœur d’activité restent très minoritaires, même en France, où le contexte sociopolitique est comparativement plus favorable à l’environnement.

De nombreuses entreprises expliquent aussi qu’elles n’ont pas les moyens de financer les investissements nécessaires à la transition écologique…

Benoît HALGAND : J’ai du mal à entendre ce discours lorsque l’on voit l’énergie et l’argent dépensés par les acteurs privés pour tenter d’étouffer toute velléité gouvernementale d’encadrer davantage la transition écologique. Pour les entreprises, il serait pourtant beaucoup moins risqué de se lancer dans ces transformations avec un plan défini par la puissance publique. Je vois une vraie dichotomie entre, d’un côté, la complainte des entreprises assurant qu’elles ne peuvent avancer sans aide publique et, de l’autre, leur activisme afin que l’État ne soit pas trop ambitieux sur ces sujets. Bien sûr, tout ne pourra pas se faire en un jour. Il y a un équilibre difficile à trouver dans le rythme de la transition. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, avait d’ailleurs lui-même pointé le risque d’aller trop vite.

Concrètement, selon vous, quelles actions les entreprises devraient-elles mettre en place pour relever le défi écologique ?

Benoît HALGAND : Une direction ambitieuse consisterait d’abord à former ses collaborateurs pour leur permettre d’intégrer les questions écologiques dans leur travail quotidien. Aujourd’hui, très peu de groupes se préoccupent de la formation. Or elle est essentielle. Les problématiques environnementales, qu’elles relèvent des questions énergie-climat, de la biodiversité ou de la finitude des ressources, sont extrêmement complexes. Et, si nous voulons proposer des solutions qui s’attaquent vraiment au problème et ne se contentent pas de le décaler, il nous paraît très important d’en comprendre les ressorts. Les salariés ont besoin d’être accompagnés pour modifier leurs comportements. Un autre levier simple est de se fixer un mécanisme interne financier, comme un prix interne de la taxe carbone, pour réguler les émissions. Mais très peu s’engagent dans cette voie.
Emmanuelle HUET : Je crois aussi qu’il est essentiel de mobiliser les salariés. Si des objectifs environnementaux ne sont pas fixés dans la rémunération des collaborateurs, il y a un vrai risque que les arguments économiques prennent le dessus. L’une de nos revendications clés est que les salaires des cadres et des dirigeants comportent une part indexée sur l’atteinte de ces objectifs.

Dans une économie mondialisée, à la concurrence intense, est-ce raisonnable de demander aux entreprises françaises de jouer ce rôle d’avant-garde qui peut peser sur leur compétitivité ?

Benoît HALGAND : Si ce ne sont pas la France et l’Europe qui tiennent ce rôle, qui le fera ? Aujourd’hui, l’Europe est le seul continent qui dispose de tous les atouts pour s’engager dans cette transformation : une société volontaire, une force en termes de ressources humaines et de recherche… Bien sûr, à court terme, la transition ne sera pas simple et risque de provoquer une baisse de la rentabilité. Mais, sur le long terme, ne subsisteront que les entreprises qui se seront engagées dans cette voie.
Emmanuelle HUET : Je crois aussi que la France peut assumer ce rôle d’avant-garde. Il y a bien sûr des difficultés mais tout dépend de la vision portée par les dirigeants. S’ils se fixent comme horizon le moyen ou le long terme, il devient beaucoup plus facile d’embarquer la société et même les actionnaires.

Vous avez décidé de dédier votre action au monde de l’entreprise, pourquoi ne pas avoir choisi la voie politique ?

Benoît HALGAND : Tout simplement parce que les entreprises ont d’immenses marges de manœuvre pour faciliter la transition écologique. Or cette sphère était relativement délaissée par les jeunes et les ONG. Par ailleurs, nous nous préoccupons très concrètement de notre futur : où allons-nous trouver un emploi ?

Vous entrez en effet l’un et l’autre dans un peu plus d’un an sur le marché du travail. Avez-vous déjà une idée précise du type de mission que vous aimeriez exercer ?

Emmanuelle HUET : Personnellement, je souhaite travailler dans un secteur d’avenir qui aura sa place dans un monde décarboné. Et, au sein de ce secteur, j’essaierai de trouver l’employeur le plus vertueux.
Benoît HALGAND : Pour ma part, je regarderai à la fois l’impact de mon travail en soi sur l’environnement, mais aussi celui global de l’entreprise. Je ne voudrais pas travailler pour un groupe où les actions positives que je pourrais mener de mon côté seraient annihilées par les activités d’autres filiales. Je chercherai un employeur qui soit à la fois viable économiquement et entièrement tourné vers des objectifs écologiques. Chaque strate de l’entreprise doit être concernée.

La finance vous paraît-elle à ce titre un secteur d’avenir ?

Emmanuelle HUET : Nous nous intéressons de plus en plus à la finance au sein du collectif pour travailler sur les leviers d’action de ce secteur. Ce n’est pas simple car, structurellement, elle se fixe un horizon de court terme. Par ailleurs, j’attends encore qu’on me prouve que la finance verte change vraiment la donne.
Benoît HALGAND : Spontanément, je suis aussi plutôt méfiant, même si nous entendons de plus en plus de déclarations fortes. Je pense notamment à Larry Fink, le PDG de la société d’investissement BlackRock, qui appelle les entreprises à bâtir une vision de long terme, porteuse de sens. Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour savoir si ces beaux discours déboucheront sur quelque chose de concret. Nous sommes contents de voir que cela bouge, mais nous attendons davantage : développer des activités vertes, c’est très bien, mais les banques devraient commencer par ne plus financer des activités polluantes, comme l’extraction d’énergie fossile.
Emmanuelle HUET : Quelques acteurs ont pris des engagements solennels sur la sortie du charbon par exemple. Mais, en y regardant de plus près, il s’agit la plupart du temps de véritable « green washing » avec des échéances lointaines et un périmètre d’application réduit. Pour caricaturer, ils promettent de sortir du charbon, en France, d’ici à 2040, alors que les marchés importants où il faut désinvestir sont la Chine, l’Australie…

Vos convictions sont-elles très partagées dans vos écoles respectives ? Voyez-vous concrètement monter la préoccupation écologique ?

Benoît HALGAND : Je pense qu’à l’X cette préoccupation est prépondérante. Il y a différents niveaux d’engagement, mais la très grande majorité se sent concernée et cherche à s’informer. Nous voyons que cela évolue très vite, année après année. Dans ma promotion, nous étions 20 étudiants membres de l’association DDX (Développement durable à l’X), contre six dans la promotion qui nous précédait, et 50 pour celle qui nous succède !
Emmanuelle HUET : Je partage le même constat. L’an dernier, j’ai suivi un cours à l’École des ponts sur l’économie de l’environnement. Dans ce cours, il n’y avait jamais eu plus de 20 étudiants. Dans ma promotion, nous étions 60 ! Je pense que 2019 a marqué un point de bascule pour beaucoup de jeunes. À l’Essec, je suis surprise de voir de nombreuses personnes aux profils très différents me demander des renseignements sur le collectif et ce que nous faisons. Globalement, les écoles de commerce demeurent des univers dépolitisés. Et même si l’on note un intérêt croissant pour les questions environnementales, elles ne font pas encore partie des priorités de chacun.

* Créé en 2018, le collectif a publié le Manifeste étudiant pour un réveil écologique, qui compte plus de 32 000 signataires. Ce succès a permis d’ouvrir un dialogue inédit entre les étudiants et les décideurs politiques et économiques.