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JOHN HALEY

Directeur général de Willis Towers Watson

L'actuariel 30

Actuariat Finance Sociologie

Il est l’homme d’une seule compagnie. Entré il y a plus de 41 ans chez Watson Wyatt, John Haley est depuis 20 ans à la tête du groupe devenu Willis Towers Watson. Actuaire de formation, il répond à l’actuariel.

1977 : Diplômé de l’école supérieure de mathématiques à l’université de Yale, il entre chez Watson Wyatt et devient actuaire consultant grands comptes. Manager du bureau de Washington DC, responsable pour le groupe du département des retraites à l’international

1998 : Directeur général du groupe Watson Wyatt

2000 : Dirige l’entrée en Bourse du groupe Watson Wyatt à New York

2009 : Orchestre la fusion de Towers Perrin avec Watson Wyatt Company

2015 : Opère le rapprochement de Towers Watson avec le courtier en assurance Willis Group


Votre entreprise et vous-même êtes au plus près de l’évolution des compétences actuarielles. Quelles sont vos recommandations ?

John HALEY : La gestion des talents est sans nul doute le principal défi de l’entreprise moderne. Heureusement pour eux, les actuaires sont aujourd’hui très recherchés en raison de l’importance de la gestion des risques, de la prédominance de la finance et de la transition démographique. Mon conseil est de continuer à se former au fil de sa carrière pour rester au courant des évolutions de la science et des techniques actuarielles, notamment avec la montée en puissance des data scientists.

Le big data et l’intelligence artificielle bousculent d’ailleurs la profession, tout comme l’ensemble de l’assurance et de la finance. Comment envisagez-vous ces changements ?

John HALEY : À mon sens, le machine learning, le big data sont des domaines dans lesquels les actuaires seront impliqués. En matière de connaissance des risques, le machine learning nous permettra de mieux discerner les actions utiles et nécessaires à la protection contre les risques. Les actuaires devront repenser le secteur de l’assurance. Ce dernier dépend depuis toujours de l’incertitude. Or, avec le big data, notre connaissance du risque ne cesse de s’enrichir. Les données agglomérées deviennent des outils de prédiction. Elles amoindrissent notre capacité à nous tromper, de sorte que la notion d’aléatoire, qui définit l’assurance, disparaît. Par exemple, si l’on sait qu’une personne en possession d’un certain gène peut développer un cancer d’ici les trois prochaines années, cette maladie potentielle ne constituera plus vraiment un risque mais un fait sur lequel on a plus d’informations. Face à ces bouleversements, il n’y a pas de solution immédiate mais les actuaires vont devoir se pencher sur ces questions de prédictibilité.

Sur quels types de métiers dans l’assurance et la réassurance les actuaires seront-ils le plus amenés à travailler ?

John HALEY : Les actuaires deviendront probablement davantage des « managers du risque » qu’auparavant, dans le sens où, au lieu d’estimer ou de pricer des événements incertains très spécifiques, ils se soucieront plus de les anticiper. Dans ce contexte de plus grande prévention, l’apprentissage automatique va jouer un rôle primordial. D’autant que, dans un monde qui change vite, de nouveaux problèmes font régulièrement surface. Par exemple, la cybercriminalité n’existait pas vraiment il y a dix ans, aujourd’hui ce n’est pas encore un très gros marché mais, dans les cinq à dix prochaines années, ce sera gigantesque.

Justement, comment évaluer ce nouveau risque ?

John HALEY : C’est le problème. Pour le moment nous n’avons que peu de données. Mais les actuaires travaillent notamment sur la politique de provisions qui peut être mise en place. Car, pour les compagnies, quand un nouveau risque apparaît, sa couverture reste au départ modeste puis devient plus onéreuse. Aux États-Unis, dans les années 1950, lorsque les entreprises ont commencé à promouvoir des solutions de santé pour leurs employés, leur prise en charge au départ limitée s’est par la suite étoffée. Il en sera de même, je pense, avec la cybercriminalité. Plus les données seront affinées, plus les entreprises seront amenées à couvrir les dommages.

Près de 90 % des personnes qui travaillent dans le domaine de l’IA sont des hommes. Cette « masculinité » n’est-elle pas problématique ?

John HALEY : En effet, l’un des autres défis pour les actuaires, à mon sens, sera d’essayer de comprendre comment et pourquoi les machines arrivent à certaines de leurs conclusions. On parle en ce moment du biais inconscient des individus. Si les designers du machine learning introduisent un biais masculin dans leur programme à leur insu, quelles peuvent être les conséquences ? C’est l’un des enjeux qui répond à votre question. Et, c’est vrai, les femmes ne sont toujours pas assez nombreuses en sciences, même si elles le sont davantage qu’il y a trente ans. Ce n’est évidemment pas une question d’aptitudes, les femmes ne sont pas moins douées que les hommes. Mais le secteur est encore assez jeune.

Selon vous, quels sont les pays qui recherchent le plus d’actuaires ? Quelle est la situation en France ?

John HALEY : À mon sens, la situation des actuaires en France ne devrait pas évoluer différemment de ce qu’elle est ailleurs. Dans tous les pays développés, la demande de profils d’actuaires continuera d’augmenter. Les pays comme l’Inde et la Chine, où ils étaient sous-­représentés, connaîtront les plus fortes croissances. Mais les propositions de postes concerneront principalement les actuaires qui sauront se maintenir à la page et s’ajuster à la complexité grandissante des problèmes à résoudre. Les compétences qu’ils apportent sont particulièrement importantes dans l’usage qu’ils font des mathématiques pour prévenir les contentieux de paiement, à long terme surtout. Les contentieux de paiement sont liés à un certain nombre de probabilités et font partie intégrante de tout ce que nous faisons dans la vie courante.

Cela signifie-t-il que le nombre d’actuaires va croître de manière importante dans les prochaines années ?

John HALEY : Pas forcément importante mais cela va augmenter, oui. Les actuaires feront partie de ceux qui analysent et utilisent les data mais ils ne seront pas les seuls. D’autres comme les détenteurs de MBA, des personnes issues de business schools, de nombreux ingénieurs et même des computer scientists le feront également. De nombreuses professions seront impliquées et les actuaires seront l’une d’entre elles.

Aux États-Unis, comment penser le long terme avec un dirigeant aussi déroutant ?

John HALEY : Avec le président Trump, il me semble qu’il faut distinguer deux choses. D’une part, ses tweets et ses déclarations, de l’autre, ce qu’il réalise sur le terrain. Sur ce deuxième point, on peut mettre à son actif la tax reform bill en 2017, le fait qu’il ait dégagé la voie en termes réglementaires. Honnêtement, l’économie affiche une performance deux fois supérieure à ce qu’elle était au cours des années précédentes, et le pays va mieux en termes d’emploi.

A-t-il des chances d’être réélu ?

John HALEY : Ce sera 50/50, car les chances de réélection d’un président dépendent souvent de la situation économique. Pour l’heure, l’économie va bien mais nous ne sommes qu’en 2018 et non en 2020. Sans compter que, si nous nous dirigeons vers une guerre commerciale, l’économie en souffrira et ses chances seront amoindries.

Quel est selon vous l’impact du changement climatique sur les métiers de l’assurance et de la réassurance ?

John HALEY : Nombre de compagnies d’assurances fonctionnent à court terme. Si l’une d’elles assure quelqu’un en Floride contre les ouragans, par exemple, elle se préoccupera avant tout de la probabilité d’avoir un ouragan l’année suivante, voire d’ici les deux ou trois prochaines années, mais certainement pas à plus long terme. Néanmoins, les modélisations de notre groupe sur ces types de risques sont construites sur des modèles de plus grande ampleur, lesquels sont utiles pour comprendre l’impact plus global du changement climatique. Nous travaillons avec des groupes comme Accounting for Sustainability du prince Charles, au Royaume-Uni, en vue de parfaire nos propres modèles sur ces sujets. Notre objectif est de nous servir des mécanismes de l’assurance pour contribuer au mieux au développement durable. En mars dernier, par exemple, nous avons lancé avec des ONG un programme global d’assurance pour protéger les récifs coralliens. Près de 50 % des coraux ont subi en partie un processus de blanchiment qui, invariablement, conduit à l’extinction de ces organismes vivants. Ces dégâts peuvent être en partie enrayés à condition toutefois d’entreprendre certaines actions. Pour ce faire, il nous faut identifier l’intérêt que peuvent avoir certaines personnes à s’assurer contre le dépérissement des coraux. Car, si celui-ci se produit, elles pourraient, par exemple, utiliser les indemnités pour payer les pêcheurs afin qu’ils cessent la surpêche ou mener d’autres actions.

Vous dites vouloir utiliser la « façon de penser de l’assurance » pour lutter contre le réchauffement. Qu’entendez-vous par là exactement ?

John HALEY : Dans la pratique, on sait que la première chose à laquelle les gens pensent lorsqu’ils s’assurent est de savoir comment ils pourront faire baisser le prix de la prime. S’ils prennent une assurance contre les incendies, il y a de grandes chances pour qu’ils fassent installer une alarme antifeu. Idem contre le vol. De même, s’ils prennent une assurance pour protéger les récifs on peut espérer qu’ils mettent celle-ci à profit pour stopper l’avancée de leur destruction. À mon sens, c’est cette notion d’ownership (droit à la propriété) qui, au final, peut réellement nous aider à améliorer le développement durable. Elle permet d’activer l’idée de prévention. C’est un des aspects cruciaux dans la lutte contre le dérèglement climatique qui, sans nul doute, reste l’enjeu majeur auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.

Vous avez été actuaire conseil, cela vous a-t-il préparé à devenir dirigeant de Willis Towers Watson ?

John HALEY : Le consulting m’a beaucoup appris. Notamment, à ne pas être émotionnellement trop impliqué dans les décisions à prendre. Et sans doute aussi à dire la vérité aux clients même lorsque je n’avais pas la réponse à leurs questions. Quant à ma formation au quantitatif, elle m’a rendu familier des chiffres. Certes, les grandes décisions ne se prennent pas sur ce seul critère, mais comprendre le langage des données est important. Vous devenez ainsi capable d’expliquer des concepts compliqués de la manière la plus simple possible.

Vous déclariez aux Échos en 2016 que les effets de la fusion entre Towers Watson et le groupe Willis seraient visibles en 2018. Qu’en est-il aujourd’hui ?

John HALEY : En termes de performances financières, 2016 a été jalonnée de nombreux obstacles, 2017, en revanche, a été une très bonne année et 2018 devrait être fantastique. Être profitable n’est pas l’essentiel à mes yeux mais cela démontre que notre entreprise est source de valeur ajoutée pour ses clients, cela permet de bien payer nos employés, de récompenser les actionnaires. J’y vois là un cercle vertueux.

Vous avez été responsable de la branche retraite, que pensez-vous de la réforme envisagée en France ?

John HALEY : La France doit faire évoluer son régime des retraites mais cela me paraît très compliqué. Un système par points comme en Suède peut être une piste. Mais la meilleure méthode serait de réduire les pensions, ce qui n’est évidemment pas populaire. Dans ce domaine, les gouvernements devront faire des choix et s’interroger sur le maintien en l’état ou non des politiques actuelles. Néanmoins, il est plus probable que l’on coupe dans les pensions à venir plutôt que de toucher aux retraites actuelles.