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AGNÈS TOURAINE

Présidente de l’Institut français des administrateurs (IFA)

L'actuariel 25

Bourse Finance

Agnès Touraine, présidente de l’Institut français des administrateurs (IFA), répond aux questions de l’actuariel et partage sa vision de la gouvernance.

1977 : Diplômée de Sciences Po

1981 : Diplômée de Columbia University (MBA)

1981 : Consultante chez McKinsey & Company

1985 : Directrice de la Stratégie du Groupe, puis directrice générale de la division Grand Public d’Hachette Livres

1995 : PDG Liris Interactive (futur Havas Interactive)

1998 : Directrice générale de Havas, en charge des activités Édition et Jeux vidéo

2000 : Vice-PDG puis PDG de Vivendi Universal Publishing

2003 : Présidente fondatrice de Act III Consultants, cabinet de conseil dédié aux transformations numériques

2006 : Membre du conseil d’administration de l’IFA

Depuis 2014 : Présidente de l’IFA

2017 : Siège au conseil d’administration de Proximus (Belgacom) et au conseil de surveillance de Tarkett


Pourriez-vous, pour commencer, nous emmener dans les coulisses d’un conseil d’administration ?

Agnès TOURAINE : L’environnement a bien changé depuis quinze ans ! Quand j’ai assisté à mon premier conseil d’administration, c’était encore un « all boys club ». J’étais la seule femme, il ne se passait pas grand-chose et on attendait le déjeuner et le cigare… Cette époque, heureusement, est totalement révolue. Les conseils d’administration comportent aujourd’hui douze personnes en moyenne et se réunissent en général au moins huit fois par an quand tout va bien. À cela s’ajoutent trois ou quatre réunions de comité, consacrées à l’audit, aux nominations ou aux rémunérations, ainsi que des journées stratégiques.

Combien de temps cela vous occupe-t-il ?

Agnès TOURAINE : Il est rare qu’une réunion dure moins d’une demi-journée et on estime qu’un bon administrateur doit consacrer au moins deux jours par mois à sa mission. C’est une évolution considérable qui s’est imposée avec le code Afep-Medef et la pression des parties prenantes, notamment des investisseurs, mais aussi des salariés, clients et fournisseurs, qui exigent désormais une gouvernance éthique et rigoureuse.

Comment définiriez-vous le rôle d’un administrateur ?

Agnès TOURAINE :  Il faut rappeler les quatre missions d’un conseil d’administration définies par la loi : l’élaboration et l’approbation de la stratégie, la nomination des mandataires sociaux, le contrôle et l’information. Plus largement – et c’est une spécificité française – la responsabilité de l’administrateur est d’agir dans l’intérêt social de l’entreprise, ce qui signifie qu’il doit prendre en compte l’ensemble des intérêts des parties prenantes : ceux des actionnaires bien sûr, mais aussi des salariés, des fournisseurs, ou encore des clients.

En amont de la réunion, comment les administrateurs se font-ils une idée des risques véritables et comment préparent-ils ces instances ?

Agnès TOURAINE : La cartographie des risques est aujourd’hui un élément essentiel de la gouvernance. Avant tout conseil, un administrateur reçoit une somme de documents et d’analyses qu’il doit prendre le temps de lire. Pour des questions plus techniques, il s’en remet aussi à des comités d’audit ou à des comités des risques, souvent très développés dans le secteur des assurances. Ils sont une émanation du conseil et lui rapportent quelles réflexions sont menées et quelles actions sont proposées. Le rôle du conseil est de s’assurer que les bons processus sont en place. Aujourd’hui par exemple, il n’y a plus un conseil qui, au moins une fois dans l’année, ne s’interroge sur des questions de cybersécurité. Le conseil est là pour poser les bonnes questions et s’assurer que l’entreprise y répond.

Concrètement, quelle est la responsabilité personnelle engagée par un administrateur ?

Agnès TOURAINE : Si le conseil a failli à l’une de ses quatre grandes missions, il peut être mis en responsabilité collective. La question fait actuellement débat et cette notion pourrait bientôt changer car la France est le seul pays à avoir cette notion de collégialité du conseil. En pratique, cependant, s’il n’est pas d’accord sur un point, un administrateur peut se désolidariser d’une décision sur le procès-verbal du conseil. Et si vraiment il s’agit d’un désaccord de fond, il doit démissionner. On demande d’abord à un administrateur des compétences, mais aussi du courage. Pour autant, l’objectif d’un conseil est d’aboutir à une intelligence collective et d’éviter les blocages. La gouvernance doit être un atout pour la compétitivité.

Quelles sont les expertises indispensables pour siéger à un conseil d’administration ?

Agnès TOURAINE : Elles ont beaucoup évolué. Ce qui est nouveau dans les conseils, c’est que l’on recrute aujourd’hui les administrateurs en fonction de leur valeur ajoutée et non plus par relation ou complaisance. Il est désormais difficile de siéger sans connaître les fondamentaux du fonctionnement d’une entreprise comme également la stratégie et la finance. C’est surtout une somme de connaissances individuelles fortes qui doivent former une intelligence collective. Avant de choisir un nouveau membre, un conseil s’interroge sur les compétences dont il a besoin. Parmi les compétences que tous les conseils recherchent actuellement figure par exemple le numérique. Nous ne cherchons pas des experts en algorithmes mais des profils sensibles à cette question, capables d’enrichir la réflexion et d’accompagner la transformation. Enfin, il faut avoir des « soft skills », c’est-à-dire des compétences comportementales comme être capable d’écouter, de comprendre et de dialoguer. Il faut une certaine humilité et se remettre à niveau régulièrement. Avec une floraison de lois et de textes qui est lourde, l’administrateur doit se tenir au courant en permanence.

Comment se constitue en pratique la compétence collective souhaitable d’un conseil d’administration, en particulier sur les aspects plus techniques requis par les réglementations ?

Agnès TOURAINE : On commence par s’interroger en comité de nomination sur les compétences nécessaires en fonction de la stratégie de l’entreprise. Pour siéger au comité d’audit et des risques, il faudra évidemment des profils qui connaissent parfaitement la question. Mais un conseil ne peut réunir que des experts, sinon il reste dans la conformité pure. Je dis souvent qu’un bon conseil se résume à une somme de compétences solubles en un cocktail. Tout l’enjeu d’une entreprise – et notamment dans l’assurance – est que la conformité ne l’emporte pas sur la compétitivité. La conformité est nécessaire mais il faut réserver suffisamment de temps pour s’intéresser à la stratégie. L’un des grands débats à l’IFA porte sur l’arbitrage entre la conformité nécessaire et le temps passé sur la stratégie. Ce n’est pas à l’actuariel que je vais rappeler l’importance des règles prudentielles mais il faut aussi se demander jusqu’à quel point la conformité ne devient pas excessive.

Au sein du conseil d’administration, vous auditionnez différents responsables des fonctions clés. C’est le cas d’actuaires et de responsables des risques dans les entreprises d’assurances, par exemple. Qu’attendez-vous d’eux ?

Agnès TOURAINE : Ils doivent justement proposer une analyse claire, compréhensible pour tous et surtout assortie d’un plan d’action en relation avec la stratégie de l’entreprise. J’ai déjà vu des conseils où l’on dépliait des « accordéons » de risques sans les contextualiser. En exposant un risque, il faut déjà penser à le résoudre. Il faut aussi savoir penser le risque comme une valeur ajoutée et mesurer quels risques l’on est capable de prendre. On en revient à la juste mesure entre conformité et compétitivité. L’IFA travaille beaucoup sur la notion de « risk appetite », c’est-à-dire l’appétit au risque. Il faut identifier le risque pour l’anticiper et il ne peut pas aujourd’hui y avoir de développement d’entreprise sans prise de risque.

Où les conseils trouvent-ils de nouveaux administrateurs ? Chez les décideurs, les opérationnels, les experts ?

Agnès TOURAINE : Les candidats potentiels doivent connaître les enjeux de l’entreprise, avoir des compétences comportementales et être suffisamment indépendants et préservés des conflits d’intérêts et évidemment apporter de la valeur ajoutée. L’éthique également sera le nerf de la guerre à l’avenir. Dans les très grandes entreprises, un comité de nomination établit des listes, souvent paritaires, et interviewe les trois ou quatre candidats retenus, parfois même avec le reste du conseil. Le candidat choisi doit ensuite être approuvé en assemblée générale. Les actionnaires suivent aussi ces questions de très près. On ne recrute plus juste par cooptation ou par relation comme je l’ai vu à mes débuts.

L’IFA compte à ce jour plus d’un tiers de femmes. Que change la féminisation des conseils d’administration ?

Agnès TOURAINE : Nous avons déjà atteint le palier de 40% de femmes dans le SBF 120, conformément à la loi Copé-Zimmerman. Cela constitue déjà une évolution majeure de la gouvernance. Les conseils se sont ouverts à de nouveaux talents souvent plus jeunes. Et, au-delà de la féminisation, la diversité des profils apporte beaucoup et a considérablement contribué à ce que l’on ait aujourd’hui une gouvernance performante et fiable. La France peut ainsi se targuer de voir siéger 28% d’administrateurs étrangers dans ses conseils.

Pour terminer, quels sont les enjeux actuels et les principaux défis de l’IFA ?

Agnès TOURAINE : À titre personnel, j’aimerais que l’on réfléchisse davantage au rôle du président du conseil. Les autres enjeux sont comme on l’a dit le bon équilibre conformité-réflexion, l’évaluation des risques et l’alignement des parties prenantes sur la stratégie. Pour le reste, si nous pouvons progresser sur toutes les questions que nous avons évoquées, le plus grand défi reste de construire la confiance et d’augmenter encore la valeur ajoutée des conseils. Cela passe par toujours plus de compétences, d’indépendance et de transparence chez les administrateurs pour que la gouvernance soit un facteur de compétitivité.

Le rôle
de l’IFA

Créé en 2003, l’Institut français des administrateurs compte aujourd’hui plus de 3 500 membres, exerçant leurs fonctions dans plus de 4 000 sociétés de toutes tailles et de tous secteurs (sociétés cotées, PME et ETI, start-up, mutuelles et coopératives, associations, fondations et entreprises du secteur public ou parapublic). Son objectif : promouvoir une gouvernance au service de la compétitivité des entreprises. Observateur de premier plan de l’actualité et des pratiques de la gouvernance, l’IFA a pour mission d’apporter aux administrateurs toutes les informations, l’expertise et la formation nécessaires pour l’exercice de leur fonction. Afin d’améliorer la professionnalisation des administrateurs présents et futurs, l’IFA a aussi lancé en 2010, en partenariat avec l’Institut d’études politiques de Paris, le cursus de formation Certificat administrateur de sociétés pour répondre aux exigences croissantes de la gouvernance en France. La charte de l’administrateur constitue également un document de référence sur l’engagement des administrateurs.

Une gouvernance réglementée
et encadrée

La gouvernance des entreprises est définie par des textes de loi inscrits dans le Code de commerce et surtout dans le code Afep-Medef de gouvernement d’entreprise. Celui-ci a été refondu en 2013 et amendé fin 2016 pour définir certaines règles de  fonctionnement (organisation des conseils, durée et nombre maximum de mandats, etc.). Malgré certaines gouvernances particulières – participatives et démocratiques, dans les mutuelles par exemple – l’IFA note une homogénéisation des obligations et des pratiques, portée notamment par le contexte de la réglementation Solvabilité II. À noter que le législateur fixe le cadre général mais laisse une certaine latitude aux entreprises. À la norme juridique proprement dite, législative et jurisprudentielle, s’ajoute le droit souple, la « soft law », c’est-à-dire un ensemble de bonnes pratiques regroupées dans des codes élaborés par des organisations professionnelles et complétées par les attentes des investisseurs. Ces dispositions, fortement encouragées par l’IFA, évitent ainsi d’alourdir le corpus de lois et règlements pesant déjà sur les entreprises.