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Bois & forêts : l’humanité perd son souffle

Entre 2000 et 2017, le couvert forestier mondial a diminué de 8,4 %. Les experts appellent de leurs vœux l’organisation d’une gouvernance mondiale autour de ce bien si précieux.

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Écologie Environnement International

Incendies d’ampleur, impacts du changement climatique, déforestation… La préoccupation des États pour la préservation des forêts s’intensifie.

Depuis le paléolithique, l’homme utilise le bois des forêts pour ses outils, son habitat et son chauffage. La demande mondiale de ce matériau naturel a suivi la démographie humaine, avec une nette accélération à partir de la révolution industrielle. Après une inflexion dans la foulée de la crise économique de 2008-2009, la tendance est repartie à la hausse. Et, en 2017, selon les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production de bois rond a dépassé ses niveaux d’avant-crise pour atteindre 3797 milliards de mètres cubes, en augmentation de 1% sur un an et de 10% depuis 2000. Les produits transformés sont toujours plus plébiscités. En 2017, 402 millions de mètres cubes de panneaux à base de bois ont été produits, un volume stable sur un an, mais en augmentation de 125% depuis 2000. À titre de comparaison, le volume de l’Empire State Building est de 1 million de mètres cubes. Enfin, les industries mondiales ont fabriqué 413 millions de tonnes de papiers et cartons, à base de bois, une augmentation de 1% sur un an, et de 27% depuis 2000.

La construction reste le premier débouché commercial du bois. Au-delà des classiques charpentes, isolations et escaliers, le bois gagne ses galons comme matériau structurel. Le code international de la construction évolue, intégrant la possibilité de construire des immeubles de plusieurs étages. Le XIIIe arrondissement de Paris accueillera d’ailleurs en 2021 l’une des plus hautes constructions d’Europe en bois : un bâtiment de 17 étages (49 mètres de haut) comprenant 107 logements, Wood Up. Depuis une décennie, les productions destinées au chauffage et à la production d’énergie montent également en puissance, même si elles demeurent tributaires des variations du pétrole. En France, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, en 2018, 22% de la récolte de bois commercialisé était ainsi destinée à l’énergie contre 15% en 2011. Au niveau mondial, la production de granulés de bois a explosé : en 2017, 33 millions de tonnes – en augmentation de 12% en un an – de ce combustible pour poêles et chaudières, issu du compactage des résidus de scieries ont été produites. Le bois représentait ainsi, en 2017, un tiers des énergies renouvelables.

Décimer et reboiser, la logique du profit

Le prix du bois brut, après avoir fortement baissé en 2016 et 2017, a augmenté en 2018 de 3,3 %, selon les dernières estimations des analystes de la Coface. Cette tendance devrait se poursuivre à un rythme moyen de 2,5 % par an entre 2019 et 2030, selon les experts de la Banque mondiale. Contrairement à d’autres matières premières comme le blé ou le sucre, le bois n’est pas coté sur les marchés financiers. Son prix se fixe dans les salles de vente quand se rencontrent demande et offre. Il peut donc varier d’une région à une autre. En France, le prix d’un stère (un mètre cube) de bois de chauffage oscille entre 50 et 80 euros.

Le bois obéit donc aux règles classiques du marché. Pour répondre à la demande, les producteurs de bois ont intensifié leurs méthodes de production. Quitte à modifier des paysages entiers pour coller aux besoins des industries. L’exemple le plus impressionnant reste le remplacement des forêts originelles d’Asie du Sud-Est par des plantations de palmiers à huile ou, de manière plus discrète, en Europe, la montée en puissance des monocultures, qui perturbent la biodiversité. Les paysages forestiers ont par ailleurs été profondément modifiés par l’homme pour répondre aux besoins des industries agricoles, notamment pour la culture du soja. Selon la FAO, l’agriculture serait responsable à hauteur de 80% de la déforestation et de la dégradation des forêts à l’échelle mondiale (30 à 35% pour l’agriculture de subsistance et 45 à 50% pour l’agriculture commerciale ou industrielle). Conséquence : sur la période 2000-2017, le défrichage de 3,4 millions de km2 d’arbres dans le monde a entraîné une réduction du couvert forestier de la planète de l’ordre de 8,4%, avancent de leur côté les chercheurs Bruce Albert, Fabrice Dubertet et ­François-Michel Le Tourneau dans leur dossier « Un monde de forêts » (2019). Et, entre 1990 et 2015, les espaces boisés dans le monde sont passés de 31,6% à 30,6% des terres émergées, selon la FAO. Si l’écart semble faible à première vue, c’est que de nombreux pays se sont lancés dans des plans de reboisement massif, compensant ainsi la perte. Reste que toutes les plantations ne se valent pas. En avril 2019, une publication des chercheurs de l’université UCL à Londres intitulée Restore natural forests to meet global climate goals a ainsi démontré que les canopées naturelles captaient quarante fois plus de carbone que les plantations de remplacement, et six fois plus que l’agroforesterie.

État d’urgence, la forêt brûle

Par son origine, le bois n’est pas un matériau ordinaire. Les premiers arbres sont arrivés sur la terre il y a 380 millions d’années, bien avant nos ancêtres. Les températures étaient à l’époque supérieures de 10°C aux températures actuelles et les concentrations de CO2 dix fois plus élevées qu’aujourd’hui. Les forêts ont donc, avec les océans, rendu notre planète habitable pour l’homme. Les forêts représentent toujours le plus vaste puits de carbone sur terre, réservoir qui absorbe ce dernier en circulation dans la biosphère. Elles constituent également le plus vaste réservoir de biodiversité et la principale source de précipitations. La déforestation est à ce titre un drame pour la planète. Elle agit sur le climat non seulement par la libération du carbone stocké dans les arbres, mais aussi par la modification des transferts hydriques opérés par la forêt.

Selon Jérôme Chave, chercheur au CNRS au laboratoire Évolution et diversité biologique, en un peu plus de deux décennies, l’efficacité de l’Amazonie comme puits de carbone a chuté de moitié. Cet été, le cas du « poumon vert de la planète » a d’ailleurs alerté la communauté internationale, après une publication de l’Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais (INPE) faisant état d’au moins 75336 feux en huit mois au Brésil, chiffre basé sur des observations satellitaires. Des feux régulièrement provoqués par des agriculteurs à des fins d’élevage, révélateurs d’une déforestation mal régulée. Depuis les années 1970, les forêts du Brésil ont ainsi perdu 20 % de leur surface. Les forêts de l’ouest des États-Unis et du Canada s’embrasent aussi régulièrement sous l’influence d’un cocktail explosif de sécheresse, de vent et de canicule. À l’automne 2018, Camp Fire, l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de la Californie, a dévasté quelque 620 km2 et provoqué la mort de près de 90 personnes. à l’été 2019, des incendies ont de même ravagé entre 3 et 12 millions d’hectares de forêt sibérienne, soit l’équivalent de la surface de la Belgique.

Relever le défi climatique

En Europe, conséquence de l’extrême urbanisation des populations, la taille de la forêt a crû depuis une dizaine d’années. Cette bonne santé apparente cache toutefois une profonde faille. La forêt européenne souffre du réchauffement climatique. La sécheresse a ainsi eu l’été dernier des conséquences dramatiques en Europe de l’Est, en Allemagne et jusque dans l’est de la France. La chaleur a provoqué une prolifération de scolytes, des petits coléoptères qui se glissent sous l’écorce des épicéas pour se nourrir de leur sève jusqu’à les tuer. Face à l’invasion, la seule solution pour les forestiers est d’abattre les arbres. Pour tenter d’anticiper l’impact du réchauffement sur les forêts, le programme européen Reinfforce (Réseau ­infrastructure de recherche pour le suivi et l’adaptation des forêts au changement climatique) regroupe ­depuis 2009 une quarantaine d’arboretums sur la façade atlantique, avec l’objectif notamment d’étudier un possible remplacement des arbres du nord de l’Europe par des plantes méditerranéennes. Les arbres ne sauront en effet pas d’eux-mêmes s’adapter. Selon des chercheurs de l’Inra, après la dernière glaciation, les chênes ont pris 2000 ans pour coloniser la France au rythme de 500 mètres par an. La rapidité du réchauffement actuel ne leur laissera pas le temps de poursuivre leur voyage vers le Nord.

À la recherche d’un consensus politique

Sans intervention humaine, les forêts européennes risquent ainsi simplement de disparaître à moyen terme sous l’effet du réchauffement. Devenues dans bien des régions de simples « usines à bois », elles doivent bénéficier d’une protection. Pour la sauvegarde de la planète, cette dernière ne peut toutefois se résumer à un simple arrêt de la production industrielle. Dans la construction, le bois se substitue au béton ou à l’acier, beaucoup plus voraces en énergie. Comme source de chauffage, il remplace les énergies fossiles. L’équation est ainsi extrêmement complexe car les hommes ont besoin du bois pour rendre durable leur mode de vie.

Dans ces conditions, les ONG, les chercheurs, mais aussi les élus de tous bords appellent de leurs vœux la création d’instances de gouvernance internationales. Seulement, ce rêve des pays du Nord se heurte aux réticences des États du Sud, qui voient bien souvent les forêts comme un inestimable potentiel de richesse, cœur de leur souveraineté.

Les difficultés des États à s’entendre entre Nord et Sud profitent au marché noir. Selon un rapport de 2012 d’Interpol et du PNUE intitulé Carbone vert, marché noir, entre 15% et 30% des volumes de bois commercialisés dans le monde étaient obtenus de manière illégale. Pour lutter contre ces pratiques, les États-Unis ont promulgué le Lacey Act. De son côté, l’Europe a opté pour le plan d’action Forest Law Enforcement Governance and Trade (FLEGT). Malgré ces textes, le braconnage perdure. Début novembre, un militant indigène défenseur de la forêt, Paulo Paulino, a été tué lors d’une embuscade tendue par des trafiquants de bois dans l’État du Maranhão, en Amazonie.

Quand l’arbre cache la déforestation

À défaut de parvenir à inscrire les forêts dans un agenda international, des initiatives sont menées à tous les niveaux. Afin de sauvegarder la biodiversité, les États-Unis ont inventé il y a plus d’un siècle le concept « d’aires protégées », où toute intervention humaine est bannie, avec des conséquences évidemment terribles pour les populations locales. Avec leur programme sur la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (Redd), les Nations unies ont tenté de leur côté de trouver un levier financier, à l’image de la taxe carbone, pour inciter les États à œuvrer pour leurs forêts. Des crédits sont alloués aux pays actifs sur le sujet, avec toutefois un risque de malversations et d’abus des puissances publiques, dénoncé par les ONG.

Des entreprises lancent aussi régulièrement des opérations en faveur de la forêt. Les démarches mixent souvent bonnes intentions et soucis d’image. Ainsi, le groupe pétrolier Total s’est engagé, en juillet dernier, à reboiser des espaces dégradés en investissant dans des projets pour un budget de 100 millions de dollars par an afin de compenser ses émissions de carbone. « Le moyen le plus efficace aujourd’hui d’éliminer le carbone, pour moins de dix dollars la tonne, c’est la reforestation », a ajouté le PDG, Patrick Pouyanné. Reste que cela n’est pas aussi simple. Les jeunes arbres plantés ayant besoin d’environ vingt ans pour fixer du carbone, la solution ne peut être efficace à court terme. Or, pour se conformer à l’accord de Paris, les émissions de CO2 doivent d’ores et déjà être réduites afin de limiter le réchauffement climatique en deçà de 2°C.

L’échelon national paraît le plus agile

À l’heure actuelle, en termes d’efficacité, l’échelon national paraît tout compte fait le plus agile. Au Liban, par exemple, les fameux cèdres ont été sauvés de la disparition grâce à la Lebanon Reforestation Initiative, qui a bénéficié d’aides financières américaines. Lancé en 2010, le projet avait pour objectif d’étendre en dix ans la surface forestière du pays de 50%, grâce à 100000 plantations par an. Afin de peser dans les décisions de ses parties prenantes, la Norvège s’est de son côté engagée à ne passer aucun contrat avec une organisation dont les activités impliqueraient la destruction d’arbres ou de forêts, où que cela soit dans le monde.

L’industrie, en aval et, derrière, les consommateurs ont aussi leur responsabilité dans la protection des forêts. En France, selon Antoine d’Amécourt, président de Fransylva Forestiers privés de France, 40% du bois n’est pas exploité. « Le cycle de la forêt est très particulier : en tant que forestiers, nous vivons du travail des générations précédentes et travaillons pour les générations suivantes. Cela crée un vrai décalage avec l’industrie. Par exemple dans les années 1980, le bois rouge était à la mode et les propriétaires de forêt ont été incités à planter des merisiers. Un bois aujourd’hui invendable », avance-t-il. Une meilleure adaptation de l’industrie aux réalités des forêts éviterait ces pertes. Des bonnes pratiques, nées notamment en Finlande, tendent toutefois à s’imposer chez les exploitants : reboisement systématique, utilisation de l’ensemble des déchets jusqu’aux sciures…

Partout, sous la pression des citoyens, entreprises et États prennent conscience de la nécessité de protéger les forêts. Certains adhèrent sans ambiguïté à cet impératif, beaucoup louvoient encore entre leurs intérêts financiers de court terme et la nécessité de ne pas heurter l’opinion publique. Sans véritable gouvernance internationale, les forêts continueront de pâtir de cette politique des petits pas, incompatible avec l’urgence du réchauffement climatique.

UN NOUVEAU DÉPART
pour l’Office national des forêts ?

Ces dernières années, l’Office national des forêts (ONF) accumulait les critiques : climat social délétère, gestion des forêts court-termiste et bilan financier calamiteux. L’État lui donne cinq ans pour changer.

La France possède la troisième forêt européenne après la Suède et la Finlande, mais elle n’a jamais réussi à faire émerger une vraie filière bois. D’un côté, les forêts privées, très morcelées – qui représentent les trois quarts de la surface totale – sont sous-exploitées.

De l’autre, la forêt publique héritée des domaines royaux, cléricaux et seigneuriaux, saisis à l’époque de la Révolution. Ces forêts domaniales et des collectivités sont gérées par un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), l’Office national des forêts (ONF), créé en 1964. Autonome mais encadré dans ses activités par le Code forestier, l’ONF a connu deux périodes bien distinctes.

L’établissement assume d’abord une gestion conservatrice de ses forêts. Mais, tandis que le prix du bois baisse sur les marchés internationaux à partir des années 1990, il accumule les problèmes financiers, masqués un temps par des artifices tels que la vente du patrimoine immobilier.

Ainsi, au début des années 2000, l’État impose une réorganisation drastique. L’accent est alors mis sur l’extension de l’exploitation. La récolte annuelle en forêt domaniale (propriété de l’État) passe de 4 millions de mètres cubes – à la création de l’ONF – à plus de 6,5 millions de mètres cubes de 1998 à 2008. Au menu : réduction des effectifs, coupes d’arbres toujours plus jeunes, remplacement des feuillus par des douglas, projets de privatisation de l’ONF… Ces pratiques sont régulièrement dénoncées par les ONG et les agents de l’ONF. Le traitement de cheval ne fonctionne en rien : début 2019, quand l’État se penche à nouveau sur le sort de l’établissement, l’ONF accumule les points noirs : endettement endémique de 400 millions d’euros malgré l’intensivité de la production, climat social extrêmement tendu, méfiance de l’opinion publique, relations délétères avec les élus des communes forestières… Parmi les agents de l’ONF, qui voient leur rôle de garde forestier réduit à celui de technicien, les cas de démissions, de dépressions et de suicides se succèdent dramatiquement. « L’ONF n’a cessé d’augmenter les prestations payantes, faisant perdre le cœur du métier à ses personnels et semant le trouble dans l’esprit des élus. Le contrat de confiance est rompu », écrivait ainsi en juin la Fédération nationale des communes forestières. « L’État entend conserver l’unité de gestion des forêts publiques, domaniales et communales, par un opérateur unique, l’ONF », avancent en réponse à la crise, dans un rapport de juin 2019, les ministères en charge de l’institution (Écologie, Bercy, Cohésion des territoires, Agriculture), tout en pointant de nombreux dysfonctionnements : « Défauts de gouvernance, absence d’études d’impact et d’outils de pilotage… » Cinq ans ont été donnés à la nouvelle direction pour transformer l’ONF autour de sa triple vocation écologique, sociale et économique. Activités régaliennes et concurrentielles devraient également être mieux séparées. Cette évolution passera par une filialisation des activités concurrentielles de travaux et services. Les pistes s’appuient sur un rapport de juin 2019 de la sénatrice Anne-Catherine Loisier, qui explique qu’« un hectare de forêt rapporte environ 100 euros par an en vente de bois, mais 970 euros à la collectivité en “ externalités positives ” : cueillette, chasse, stockage du carbone, pureté de l’eau, protection des habitats, biodiversité »

– point de vue –

Philippe GOURMAIN
Président des Experts forestiers de France, association syndicale de conseil en gestion forestière.

Anne BERTHET
Ingénieur agronome, travaille depuis 2012 au sein du Réseau pour les alternatives forestières (RAF).

La forêt française a beaucoup souffert de la sécheresse l’été dernier. Est-ce grave ?

Philippe GOURMAIN : Oui, nous sommes face à un défi de tout premier plan : le changement climatique. Les forêts françaises et européennes ne sont pas armées pour affronter des températures supérieures à 40°C. Les arbres peuvent supporter un ou deux épisodes de canicule en une décennie, mais certainement pas davantage. Il nous faut réfléchir à un vaste remplacement végétal de nos forêts, car les mécanismes naturels d’adaptation ne suffiront pas dans de nombreuses situations.

Anne BERTHET : Nous assistons à un double phénomène répétitif de sécheresses et de fortes chaleurs, qui provoque à la fois un manque et une perte d’eau. Nous constatons la souffrance des forêts, mais nous ne savons pas comment réagir. De plus en plus de voix en France dénoncent la manière dont elles sont gérées… et c’est légitime. Celles-ci résistent mal à la sécheresse et à la chaleur, en grande partie à cause de leur gestion. Aujourd’hui 51% des forêts françaises sont en monoculture, ce qui les rend beaucoup plus fragiles aux attaques des insectes ou des champignons.

Partagez-vous l’inquiétude de ceux qui réclament une gestion alternative ?

Philippe GOURMAIN : Leur argument de fond est que la forêt gagne du terrain quantitativement – en France, elle représente désormais 17 millions d’hectares – mais s’appauvrit en termes de diversité. à l’échelle nationale, la biodiversité forestière se porte bien, mais il est vrai que, localement, certains paysages ont pu complètement changer en cinquante ans. Aujourd’hui, de toute façon, nous devons composer avec cette attente sociale, car nous n’allons pas nous occuper des forêts contre la population.

Anne BERTHET : Bien sûr. Ces dernières années, nous avons vu la forêt se faire peu à peu gagner par la mécanisation et la standardisation afin de soutenir des logiques de rendement. La forêt n’était plus considérée comme un patrimoine, mais comme un placement.

Concrètement, par quels changements passe cette adaptation ?

Philippe GOURMAIN : Par exemple, par la limitation du recours aux pesticides et aux coupes rases. Pour notre part, nous devenons beaucoup plus méticuleux dans nos choix techniques et tenons davantage compte des micro-variations du terrain. à terme, cette précision dans la gestion sera profitable pour la forêt. Mais il ne faut pas se mentir : nous serons aussi moins efficaces d’une certaine façon. En effet, l’industrie, qui a besoin d’un bois uniforme, devra s’adapter à davantage d’hétérogénéité de la ressource.

Anne BERTHET : Il est d’abord essentiel d’apporter de la diversité en âges et en essences dans nos forêts, ensuite de mieux observer afin d’identifier les essences les plus résistantes. Idéalement, il faudrait aussi trouver de meilleurs débouchés commerciaux pour les gros bois, de manière à sortir de cette préférence pour les petits produits standardisés.